Arnaud Levy
Développeur, co-fondateur de noesya
Nous pensons que le numérique peut servir le bien commun, à certaines conditions. D’abord, le code source doit être libre au double sens de gratuit et d’utilisable sans contrainte1. Ensuite, l’objet numérique doit répondre à des besoins humains avérés, pas à des opportunités commerciales. Enfin, il doit être construit et gouverné par les contributrices et contributeurs, de façon aussi transparente et démocratique que possible.
De nombreux projets de communs suivent les exemples que constituent Wikipedia, Linux ou Firefox. Pourtant, seul Wikipedia a réussi à prendre une position majeure sur un terrain grand public. Pourquoi ? Et surtout, comment créer d’autres communs numériques majeurs ?
1. Cela se traduit par la publication sous une licence libre, validée par l'Open Source Initiative - lien externe ou la Free Software Foundation - lien externe.
Une grande part des projets de communs numériques sont des clones de services extractivistes : Peertube clone Youtube, Framadate clone Doodle, Mobicoop clone Blablacar, GreenGo clone Airbnb... Nous pensons que cette voie, si elle n’est pas radicalement une impasse, n’est pas la bonne. En copiant les réponses d’entreprises privées, nous sommes pris en tenaille entre la difficulté à faire aussi bien avec des moyens bien inférieurs, d’une part, et l’effet de réseau, d’autre part, qui privilégie les solutions les plus utilisées.
Nous pensons qu’il faut reprendre le problème au niveau du besoin, et apporter des solutions nouvelles. En théorie, la levée de l’impératif de rentabilité économique forte devrait avantager les communs numériques, en supprimant le parasitisme financier. En pratique, ce n’est souvent pas le cas : de nombreux communs sont plutôt des “commoches”, des versions moins belles et moins efficaces que la version privée.
Beaucoup de projets de logiciels libres sont portés exclusivement par des développeurs. Les interfaces utilisateurs produites sont très souvent difficiles à utiliser, avec une qualité visuelle très basse : typographies maltraitées, grilles absentes, espaces aléatoires, gestalt ignorée. Paradoxalement, ces interfaces médiocres peuvent être un sujet de relative fierté, pour deux raisons. Premièrement, elles ne réutilisent pas les codes graphiques des GAFAM donc elles peuvent être un étrange gage de moralité. Deuxièmement, leur difficulté d’utilisation agit comme une démonstration de la qualité intellectuelle de ceux et celles qui les produisent et les utilisent, l’exemple iconique étant l’éditeur Vim.
De l’autre côté, les designers connaissent souvent mal le monde du logiciel libre, et la faible qualité visuelle agit comme un puissant repoussoir. Les deux communautés sont trop éloignées : beaucoup de designers aspirent à d’autres horizons professionnels, que ce soit dans des entreprises de la Silicon Valley, dans des agences de design et de communication, dans le monde du luxe ou de la culture. Pourtant, la question de l’intérêt général est proche des préoccupations de nombreux designers, et les outils numériques sont un terrain riche et fécond.
Nous croyons qu’il faut faire du numérique dans la lignée de William Morris (1834 - 1896), comme un artisanat d’art. Les questions sont politiques, artistiques et techniques, elles doivent être choisies collectivement, et les réponses apportées doivent être totales. Pour cela, l’interdisciplinarité est une pierre angulaire. La grande qualité vient d’une pratique nourrie de réflexion théorique, pleine de joie et de curiosité. Nous souhaitons un numérique sensible, avec de la poésie et de l’émotion.
Nous revendiquons un numérique qui sait se faire discret, qui ne force pas les personnes à devenir expertes, qui remplit correctement ses fonctions. Et nous ambitionnons un numérique praticable, qui encapacite les citoyennes et les citoyens et nourrit du lien social. Nous exigeons un numérique qui n’exclut personne, quels que soient les handicaps. L’accessibilité n’est jamais une option, c’est un pré-requis. Enfin, nous voulons un numérique qui cherche sa juste place, avec l’impact écologique le plus faible possible.
Nous proposons à toutes les écoles de design, de la recherche utilisateur à la communication visuelle, de se saisir des projets de communs numériques et de logiciels libres. Nous recommandons de travailler en priorité sur les projets qui ne sont pas des clones, même si le travail de copie fonctionnelle est utile et certainement plus facile. Vous représentez une école de design et l'initiative vous intéresse ? Ecrivez-nous à l'adresse bonjour@conviviel.org .
Nous invitons les personnes capables de faire le pont entre le design et le dev à se mettre au service de ces initiatives, que ce soit dans un cadre pédagogique, associatif, professionnel ou institutionnel. Il faut accompagner les designers pour apprivoiser l’univers du code libre, mais aussi les développeuses et développeurs, qui ne savent pas nécessairement comment on fait de bons services et de bonnes interfaces. Vous souhaitez contribuer à des projets ? Ecrivez-nous à l'adresse bonjour@conviviel.org .
Nous rassemblerons toutes les productions sur le site www.conviviel.org.
Une initiative créée par...
Développeur, co-fondateur de noesya
Designer, fondateur des Éditions Volumiques
En 1982, on essayait déjà de faire du logiciel convivial, du "conviviel". Étienne Mineur repère le terme dans ce document rare, qu'il choisit pour le programme de 2022.
“Bien avant Jakob Nielsen, on pensait déjà à l'ergonomie, au design et à la convivialité des programmes informatiques. Ce livre est réellement passionnant, car malgré les contraintes matérielles du minitel, la problématique reste la même: toujours un être humain en face d'un programme informatique. Comment installer le "dialogue" entre les deux.” — Étienne Mineur
https://myos.etienne.design/blog/index.php?2006/07/12/388-conviviel